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Marie-Jo Lafontaine nage entre deux eaux. Elle observe les passions qui donnent à voir les troubles de l’être tout en essayant de dissoudre les formes extérieures. Ce double mouvement est particulièrement explicite dans les œuvres qui combinent une image photographique et une peinture monochrome. Ces ensembles clos sont animés, par nature, d’un mouvement opposé. C’est à la rencontre de ces deux forces que l’artiste réside : tantôt au-dehors, tantôt au dedans, prenant parfois l’eau, prenant parfois l’air. Le monochrome participe de ce mouvement qui vise à dissoudre les formes dans le temps. Son rayonnement est pareil aux regards des sculptures khmères : les yeux clos, tournés vers l’intérieur. Depuis bientôt trente ans, Marie-Jo Lafontaine ne cesse d’être tirée de son sommeil ; perpétuellement réveillée par le vacarme du monde, sans répit poussée à l’extérieur d’elle-même. Condamnée à exprimer les passions et les dérèglements, elle est sans arrêt bousculée, d’un aéroport à l’autre ; obligée malgré elle de rendre compte de ce qui s’agite et l’empêche de dormir. Ses insomnies sont nerveuses, traversées par des visions qui l’enchaînent au siècle. L’artiste est une sibylle qui rend des oracles dont elle ignore l’origine. Les révélations arrivent à flux tendu, toujours plus vite, au rythme effréné des connexions à haut débit. D’où cette peur, parfois panique, de vivre à côté de soi, et la nécessité du monochrome et de certaines vidéos comme Dark pool, dans laquelle la nageuse évolue dans une eau sombre, les yeux grands ouverts. Elle nage avec lenteur, évolue dans un milieu sans rumeur au rythme de sa chorégraphie sensuelle. Elle tourne et se retourne, traverse l’écran, sort, rentre dans le cadre, s’étend avec la douceur singulière de ceux qui ne craignent plus la mort. Elle regarde les spectateurs qui observent sa respiration dans les bulles d’air qui s’échappent d’entre ses lèvres. Dark pool est la petite sœur d’une autre vidéo, La chute (2000). Elle fait partie de ces petits joyaux miniatures qui éclairent, comme autant d’étoiles, l’œuvre de Marie-Jo Lafontaine. Regarder Dark pool c’est prendre des nouvelles d’une amie disparue. Pourtant, l’artiste est bien encore là, mais elle nous parle d’une voie profonde et lointaine, de l’autre côté du miroir.