Marie-Jo Lafontaine
Dark Pool
Marie-Jo Lafontaine est une exploratrice des images, de toutes les images
(photographies, vidéos, installations), mais aussi de la relation que les
images instituent avec d’autres médiums (l’écriture en particulier, mais
aussi le son, ainsi que l’architecture qui demeure centrale dans la
conception des mises en espace de ses oeuvres). Approche transesthétique,
donc, entre images, textes et sons qui active la sémiologie
visionnaire qu’attendent les temps présents. Et cette poétique des passages
entre les signes trouve dans Dark Pool sa forme organique, miroitante et
réflexive, mythologique et dématérialisée : l’eau. Elle est à l’origine de
l’image. En effet, élément fondamental de la relation au regard, l’eau n’est
pas seulement l’un des quatre éléments qui fonde une relation sensible au
monde, elle est la surface initiale où le regard mythologique (Narcisse)
comme la photographie (Hippolyte Bayard) trouvent leur origine esthétique,
phénoménologique et symbolique.
Or, dans Dark Pool, la figure de l’eau est numérique, plastique, et les
personnages qui y sont photographiés sont saisis dans des moments
d’immersion qui rompent avec le monde extérieur et font voler en éclats
leurs limites. Dès lors, de telles images produisent un effet atmosphérique :
il résulte d’un volume invisible mais palpable, de l’espace tendu, intense,
éthéré que les images de Dark Pool semblent habiter. En même temps, une
telle immersion dans cet espace sub-aquatique devient une métaphore qui,
paradoxalement, ouvre sur celle de l’asphyxie. Son inquiétude, les formes
de son inquiétude, son effroi, la plasticité de son effroi… Autant dire notre
monde : son état en 2010, avec la jeunesse et la beauté comme symptôme
d’une fièvre planétaire, avec la jeunesse et sa beauté comme hommage à
une éternelle lucidité politique et révoltée de la jeunesse.
Ainsi, derrière la constitution des nouvelles sensations que l’humanité — le
corps humain — peut connaître à l’ère des images dématérialisées, l’oeuvre
Dark Pool que Marie-Jo Lafontaine présente en Amérique Latine nous parle
aussi, avec une sidérante acuité, de l’effroi du monde d’aujourd’hui.
Alexandre Castant,
Essayiste, critique d’art,
Professeur des écoles nationales supérieures d’art.